30

Auger fut réveillée par des turbulences intenses. Le module se cabrait et tremblait comme s’il allait s’anéantir. La bouche sèche, les yeux encore embués de sommeil, elle jeta un coup d’œil aux principaux instruments et se rappela ce qu’elle pouvait du briefing précipité de Skellsgard. La situation était grave, bien pire qu’avant son somme. D’après les cascades de données saccadées – auxquelles elle ne pouvait apporter qu’une interprétation imparfaite –, le bout du tunnel qui s’effondrait les avait presque rattrapés. Et les accélérait encore davantage. Tout se passait comme s’ils étaient pris dans l’onde de pression précédant une avalanche, poussés vers l’avant, avec une marge en constante diminution qui allait bientôt les engloutir.

Le module donnait des signes de dégradation mortelle. Beaucoup d’écrans étaient grillés ou n’affichaient que des parasites. Certains cadrans et voyants avaient cessé de fonctionner, sans doute victimes d’une surtension. Sur d’autres, les aiguilles tournaient follement, inutilement. Sur l’écran de guidage, de son côté de la cabine, la grille d’énergie de contrainte était maculée de taches sombres, déchiquetées, et ses contours étaient fluctuants. Elle se représenta mentalement une machinerie au stade terminal, des capteurs et des mécanismes de guidage arrachés à la coque, des ganglions électriques incandescents, crépitants, traînant derrière eux. Des voyants d’alarme clignotaient, et pourtant les sirènes étaient mystérieusement silencieuses.

— Floyd…, dit-elle d’une voix pâteuse. Je suis restée longtemps dans les vapes ?

— Quelques heures, répondit-il.

Il avait encore la main sur la manette et procédait à des ajustements minuscules, précis.

— Quelques heures ? J’ai l’impression que…

— Que ça a fait plus longtemps ? Mettons six heures, peut-être même douze, je ne sais pas. Je dois dire que j’ai perdu le compte. Comment vous sentez-vous, fillette ?

Il la regarda. Il avait vraiment l’air épuisé.

— Mieux, dit-elle en palpant sa blessure, comme pour en apprécier la sensibilité. Je me sens vaseuse… Endolorie, mais mieux… La pan-AC a dû soulager l’inflammation, et résorber le saignement.

— Ça veut dire que vous tiendrez le coup jusqu’à la fin de cette balade dans les montagnes russes ?

— Ça devrait aller, confirma-t-elle.

— Mais vous aurez encore besoin d’aide à notre arrivée ?

— Oui, mais ne vous en faites pas pour ça. Si nous y arrivons, on s’occupera de moi.

Le module fit une violente embardée, heurta durement quelque chose et dériva sur une trajectoire latérale avec un grondement mortel. Floyd fit la grimace et tira énergiquement sur la manette. Auger entendit une succession de pop émis par les réacteurs directionnels et se demanda combien d’énergie Floyd avait déjà consommée pour les maintenir sur leur trajectoire.

— J’ai été dans les vapes pendant douze heures ? dit-elle, comme si elle venait seulement de comprendre ses paroles.

— Peut-être treize. Mais ne vous en faites pas pour ça. Ça a passé en un éclair.

— Vous vous en êtes bien sorti en nous amenant jusque-là, Floyd. Sérieusement, je suis impressionnée.

Il la regarda avec une surprise authentique et plutôt touchante, comme s’il ne s’attendait vraiment pas à recevoir des compliments.

— Vraiment ?

— Oui, vraiment. Pas mal, pour un homme qui ne devrait pas exister. J’espère seulement qu’il s’avérera que tout ça en valait la peine.

— Vous vous en faites encore pour ce qui va arriver à l’autre bout ?

— On va jaillir de ce tunnel à une vitesse pour laquelle ce système n’a jamais été conçu – comme un train express qui rentrerait dans une gare à toute allure, droit sur les tampons…

— Vous avez des gens à l’autre bout, hein ? Des gens comme Skellsgard ?

— Oui, dit-elle. Mais je ne sais pas ce qu’ils vont pouvoir faire. Même si nous pouvions les avertir, leur faire passer un message… Ce qui est impossible. On ne peut pas envoyer des signaux par le tuyau quand il y a un module dedans. Enfin, c’est la théorie.

— Vous voulez dire qu’ils ne s’y attendront pas ?

— Peut-être que si. Skellsgard a ce qu’il faut pour monitorer les conditions du lien, mais je ne sais pas si elle pourra en déduire que le lien proprement dit s’effondre. Cela dit, elle m’a parlé d’onde d’étrave : tout se passe comme si nous poussions une onde devant nous, un changement dans la géométrie du tunnel qui se propage devant le module. Ils ont le matériel nécessaire pour la détecter, ce qui leur indiquera que le module est sur le point de sortir du portail. Je pense que ça les prévient quelques minutes à l’avance. Mais ça ne nous aidera pas, dit-elle. Ils auront encore moins de marge que d’habitude, parce que nous allons beaucoup plus vite que nous ne devrions.

Elle gratta un résidu croûteux qui s’était accumulé au coin de son œil. Ça paraissait dense et géologique, dur et compact comme du granit.

— Il doit bien y avoir quelque chose à faire, dit Floyd.

— Oui, répondit Auger. Prier, et espérer que le tunnel ne nous éjecte pas plus vite que nous ne nous déplaçons déjà. Dans l’état actuel des choses, il se pourrait que nous nous en sortions tout juste. Si nous allons plus vite, je pense que nous sommes cuits.

— Si on en arrive là, ça vous ennuierait de ne rien me dire ? Le lâche qui sommeille en moi préférerait ne pas le savoir.

— Le lâche qui est en nous deux, rectifia Auger. Si ça peut vous consoler, Floyd, ce sera rapide… et spectaculaire.

Elle vérifia à nouveau les données. Rien à faire : leur vitesse était de trente pour cent supérieure à celle du module à l’aller. Compte tenu de l’heure d’arrivée prévue, le trajet devait prendre moins de vingt-deux heures. De ce temps, seize heures avaient déjà passé. Et ils ne décéléraient toujours pas.

— Vous voulez faire une pause, Floyd ? Je pourrais piloter le module un moment.

— Dans votre état ? Merci, mais je devrais pouvoir encore tenir quelques heures.

— Faites-moi confiance, nous ne serons pas trop de deux pour ramener cette capsule à bon port.

Floyd la regarda un bref instant et hocha la tête. Il lâcha la manette, se cala sur sa couchette et s’endormit presque aussitôt, comme s’il s’était accordé le droit de succomber au sommeil après l’avoir tenu à l’écart pendant si longtemps par pure volonté. Auger se demanda combien d’heures en mer avaient affûté ce don particulier et lui souhaita de beaux rêves, en supposant qu’il ait l’énergie de rêver. Peut-être l’inconscience serait-elle l’état le plus miséricordieux dans lequel ils pourraient se trouver quand la fin arriverait.

— Trouve un moyen de nous sortir de là, dit-elle tout haut, comme si ça pouvait l’aider à y parvenir.

Les quatre heures qui suivirent furent les plus longues dont elle devait jamais garder le souvenir. Elle avait pris la dernière de ses gélules de pan-AC, en espérant bien faire. Pendant la première heure, elle se sentit l’esprit en éveil, d’une acuité légèrement stressante. C’était comme la vibration provoquée par un doigt mouillé tournant au bord d’un verre en cristal. Elle se sentait vulnérable, pas vraiment fiable, et se demandait si elle prenait vraiment les bonnes décisions, même si elles lui paraissaient indubitables. Quand, enfin, cette extrême lucidité s’émoussa et qu’elle commença à se sentir vaguement embrumée, incapable de se concentrer pendant plus d’une dizaine de secondes d’affilée, elle en fut comme soulagée. Au moins, maintenant, elle avait une preuve objective du fait que ses processus de pensée risquaient de connaître une défaillance. Elle pouvait quantifier cet amoindrissement de ses facultés, elle l’acceptait dans une certaine mesure, et y voyait un indice de l’emprise qu’elle avait sur la réalité. Elle allait en s’amortissant – soit, eh bien, elle décida de considérer cela comme une victoire mineure.

Le module se déplaçait de plus en plus vite : cinquante pour cent au-dessus de la vitesse conventionnelle. Auger avait à présent une prise suffisante sur les nombres pour estimer leur vitesse d’éjection, et la nouvelle n’était pas réjouissante. Ils allaient heurter le portail de Phobos deux fois plus vite que prévu, sinon davantage. Le vecteur d’accélération commençait lui-même à augmenter au gré des réajustements convulsifs de la géométrie du tunnel étréci. La bulle de récupération ne pourrait jamais encaisser un tel choc. La capsule allait pulvériser la nacelle de réception et la sphère de verre de la bulle, puis elle s’écraserait contre les parois plastifiées de la salle, à quelques kilomètres de profondeur dans les entrailles de Phobos. Ils auraient beaucoup de chance si quelqu’un sortait vivant de ce merdier, sans parler d’eux-mêmes.

Pour être spectaculaire, ça risquait d’être spectaculaire.

Mais la vitesse avait d’autres conséquences calamiteuses. Certains capteurs avant avaient été endommagés par des collisions dans le tunnel, provoquant des points aveugles, mais même ceux qui n’avaient pas été affectés n’étaient pas prévus pour fournir des données suffisamment à l’avance sur les microchangements affectant la structure du tunnel. Les obstacles et les rides que le système de guidage aurait normalement pu encaisser – en les esquivant avec finesse, à coups de petits jets mesurés des propulseurs directionnels – se ruaient maintenant trop vite sur la capsule pour qu’elle réagisse à temps. Elle réussissait encore à éviter le pire, mais les jets directionnels, trop sollicités, n’allaient pas tarder à lâcher.

Et ce n’était même pas ça qui turlupinait le plus Auger. L’espace d’un moment, elle oublia le problème du ralentissement, la balle qu’elle avait dans l’épaule et les manigances des Slashers à Paris.

Elle pensait à Floyd, et à la façon dont elle allait lui expliquer la situation.

Parce que, dans le meilleur des cas, avec le tunnel qui se désagrégeait derrière eux, Floyd ne pourrait jamais rentrer chez lui. L’hyperlien entre Phobos et Paris étant anéanti, le voyage de retour serait impossible. Même s’ils réussissaient miraculeusement à survivre aux prochaines heures – et elle préférait ne pas réfléchir aux chances qu’ils avaient –, il se retrouverait échoué à une distance incalculable de T2 et – plus grave encore – à trois cents ans dans l’avenir, un avenir qui ne le considérait même pas comme un être humain à part entière mais plutôt comme un duplicata vivant, très détaillé… la copie d’un homme qui avait vécu et qui était mort à une époque où le monde avait encore une chance de remédier au bordel dans lequel il avait sombré. Un heureux homme tellement ordinaire qu’il n’avait laissé aucune trace dans l’histoire.

Deux heures environ après avoir glissé dans l’inconscience, Floyd bougea à côté d’elle. Peut-être réveillé par le trajet de plus en plus mouvementé, ou la sirène d’alarme qui venait de retentir, accompagnée par une voix de femme enregistrée qui les informait calmement qu’ils étaient sur le point de perdre le contrôle du guidage.

— C’est aussi moche que ça en a l’air ? demanda Floyd.

— Non, répondit Auger. Pire. Bien pire.

Le système de guidage avait épuisé l’essentiel de la masse de réaction. Ils n’en avaient plus que pour une dizaine de minutes, grand maximum. Et plutôt moins si leur vitesse continuait à augmenter, ce qu’elle semblait en passe de faire. Le pincement du tunnel les avait presque rattrapés, et tout semblait indiquer qu’il accélérait encore. Elle regrettait de ne pas mieux maîtriser la théorie de l’hyperweb ; ça lui aurait peut-être permis d’expliquer à Floyd pourquoi le quasi-trou de ver s’effondrait, et quel rapport ça avait avec sa structure métrique sous-jacente. D’un autre côté, ça ne lui aurait pas été d’un grand secours dans les circonstances présentes…

— Si le module échappe à tout contrôle, dit Floyd, nous risquons de nous écraser effroyablement dans les parois à l’arrivée, non ?

— En effet, confirma Auger. Mais le système reconnaît maintenant que nous ne sommes plus qu’à une heure de Phobos, peut-être même moins. Il y a une faible – une très faible chance – que la capsule tienne jusque-là, malgré la perte complète de contrôle de guidage.

— Je ne vais rien prévoir sur mon agenda pour la semaine prochaine…

— Ça risque d’être rude. Sans parler du fait que nous surgirons du portail à deux fois et demie la vitesse normale.

— Un problème à la fois, d’accord ? Votre amie… Skellsgard, c’est ça ? Elle donnait l’impression de savoir ce qu’elle faisait. Elle trouvera bien une solution, non ?

Pauvre Floyd, se dit-elle. Si seulement tu savais ce qui se passe en réalité. L’avenir pouvait être plein de miracles et de merveilles, mais il offrait aussi des occasions véritablement terrifiantes de merder.

— Vous avez raison, dit-elle d’un ton qu’elle voulait rassurant. Je suis sûre qu’ils trouveront une solution.

— C’est ça, voilà ce qu’il faut se dire !

« Dernier avertissement, dit la voix féminine, d’un calme exaspérant. Le contrôle d’ajustement d’attitude va cesser dans dix… neuf… huit… sept… six… cinq… »

— Cramponnez-vous, Floyd ! Et si vous avez une patte de lapin porte-bonheur, ça peut être le moment de la caresser dans le sens du poil !

« Contrôle d’ajustement de trajectoire désactivé ! » annonça la voix avec une sorte de résignation enthousiaste.

Pendant dix ou vingt secondes, le trajet redevint d’une douceur trompeuse, comme s’ils avaient dévalé une falaise en toboggan et s’étaient soudain retrouvés dans le calme absolu du vide.

— Hé, commença Floyd. Ce n’est pas si…

C’est alors que l’enveloppe de la capsule entra brutalement en contact avec la paroi. Le choc les ébranla plus violemment que tout ce qu’ils avaient encaissé jusque-là. Ils sentirent et entendirent une horrible torsion, comme si une énorme pièce métallique était arrachée à la coque. Floyd saisit la manette de commande et essaya de rectifier la trajectoire, mais il eut beau faire, ce fut sans effet sur les profils inconstants de l’affichage d’énergie de contrainte.

— C’est inutile, dit Auger avec un calme et un stoïcisme qui l’étonnèrent elle-même. Nous avons perdu le contrôle. Calez-vous confortablement et profitez de la balade…

Et pour souligner ses paroles elle lâcha sa propre manette de commande devenue inerte et replia sa console.

— Vous n’allez pas renoncer aussi facilement ! Et s’il restait du jus dans les réservoirs ?

— On n’est pas dans un film de guerre, Floyd. Quand le système dit zéro, ça veut dire zéro.

Après la première collision, il y eut un répit, pendant que le module dérivait entre les deux côtés. Auger gardait l’œil rivé sur l’écran et les données qui défilaient. Le nez de la capsule commençait à dévier à nouveau. Il y avait une nouvelle vilaine secousse en préparation…

L’impact arriva plus vite qu’elle ne s’y attendait. Elle fut ébranlée comme par un choc électrique, qui lui ferma la mâchoire dans un claquement. Elle se mordit la langue, sentit le goût métallique du sang dans sa bouche. Des alarmes lumineuses flashèrent dans tout le cockpit. L’une des sirènes survivantes retentit, aboyant un hurlement sur deux tons qui lui vrilla le crâne. Une autre voix enregistrée, dans les mêmes tonalités que la précédente, lança un avertissement : « Attention ! Les limites de résistance de la coque extérieure sont dépassées. Risque de défaillance de la structure… »

— Comme si nous ne le savions pas ! crâna Floyd.

Dès la fin de l’annonce, une autre retentit, informant l’équipage que les limites d’exposition aux radiations étaient dépassées, l’avertissant des risques qu’il encourait, etc.

Ils heurtèrent à nouveau la paroi, rebondirent, cognèrent encore, puis le nez de la capsule pivota de soixante degrés, et le choc suivant leur infligea un mouvement de roulis vertigineux, que la collision suivante accentua encore. À chaque rotation, ils étaient plaqués contre leur dossier et projetés vers l’avant, tout leur corps écartelé par des secousses insensées. La blessure qu’Auger avait à l’épaule se réveilla. Les profils d’énergie de contrainte défilaient trop vite pour être lisibles, le système d’interprétation était aussi perturbé qu’Auger. Non que ça fasse la moindre différence : quand on avait perdu tout contrôle, voler à l’aveuglette était presque un soulagement.

Une autre pièce fut arrachée à la coque dans un hurlement strident de métal torturé. Elle sentit comme une sorte de pop dans son crâne alors que la pression atmosphérique décroissait brutalement.

— On vient de perdre…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase. L’air s’échappa de la cabine avec un sifflement infernal, se raréfiant à chaque souffle. Les yeux larmoyants, la vue brouillée, elle vit l’expression paniquée de Floyd alors que son corps était soumis à la torture. Elle fit un effort colossal pour lever son bras intact, avec l’impression d’avoir dû repousser pour cela un énorme rocher. Sa main se referma sur la manette à rayures jaunes qui provoquait l’ouverture de la trappe des masques à oxygène. Elle tira dessus, maudissant le système qui aurait dû libérer les masques automatiquement. Elle se plaqua le masque en plastique sur le visage et inspira une bouffée froide, instantanément revigorante.

Elle fit signe à Floyd de faire de même et le regarda appliquer son masque sur son visage avec soulagement.

— Vous m’entendez ? demanda-t-elle.

— Oui, dit-il enfin, d’une voix qui paraissait à Auger ténue et lointaine.

— La fuite d’air paraît stabilisée. J’estime que la pression est réduite au tiers de la normale. Il va falloir que nous gar…

Ses paroles lui furent arrachées de la bouche alors que le module, qui tournoyait en tous sens dans sa course folle, s’écrasait à nouveau contre la paroi, provoquant l’arrachement de nouveaux lambeaux de coque. La plupart des voyants étaient à présent éteints. Le temps de vol estimé changeait constamment, variant de plusieurs dizaines de minutes à chaque seconde, en fonction des réinterprétations que la capsule effectuait de la vitesse du tunnel. Une secousse propulsa une onde de compression tout le long de la colonne vertébrale d’Auger et lui envoya valdinguer le crâne contre son appui-tête.

Elle perdit connaissance pendant un instant, revint à elle dans un brouillard rouge. Ses mains semblaient impossiblement lointaines et inefficaces, reliées à son corps par des fils impalpables. Ses pensées étaient brumeuses. Elle n’arrivait pas à se concentrer. Tout ça ne pouvait être qu’un rêve, forcément. Sauf que non : c’était bel et bien réel. Mais même la perspective de la mort imminente avait perdu de son impact. Peut-être que perdre conscience pour de bon n’était pas une si mauvaise option, tout compte fait…

Elle regarda Floyd et vit sa tête ballotter au gré des rotations du module. Il avait la bouche ouverte comme sur un hoquet d’extase ou de terreur. Ses yeux étrécis étaient des fentes roses, son bandage était teinté de sang frais.

Il s’était évanoui.

Le module n’arrêtait pas de basculer, de tourner dans tous les sens, de rebondir d’une paroi sur l’autre. Auger essaya de s’arc-bouter contre le dossier capitonné de son siège, se cramponna aux accoudoirs et raidit son buste. De loin, comme venant d’une autre pièce, une voix de femme annonça :

— Alerte ! Approche finale du portail imminente ! Approche finale du portail imminente ! Assurez-vous que votre console est bien relevée et que tous les membres de l’équipage sont parés à la procédure de décélération. Impossible de…

— Ferme ta putain de gueule, par pitié ! fit Auger, en implorant l’inconscience.

Les chocs et les embardées atteignirent un paroxysme. Pendant deux ou trois secondes, il parut impensable que la capsule et sa fragile cargaison humaine survivent plus longtemps. Les collisions étaient trop violentes, trop répétées.

Mais la fin ne devait jamais venir.

Les saccades se firent soudain moins violentes, plus régulières, presque tolérables, les tonneaux se poursuivaient mais les collisions brutales cessèrent, comme si la capsule avait basculé par-dessus un précipice et tombait maintenant en chute libre. Une impression trompeuse, une simple rémission ; les impacts dévastateurs ne pouvaient que reprendre à tout moment.

Et pourtant non.

— Données, marmonna Auger, la langue enflée, sanglante.

Mais les données ne lui dirent rien. Le module avait fini par devenir aveugle et insensible, incapable de compiler une image cohérente de son environnement. Un changement dans la géométrie du tunnel, se dit Auger. C’était la seule explication possible. Le processus d’effondrement avait dû provoquer la destruction du tunnel, près de l’embouchure, l’élargissant d’une façon ou d’une autre, et la capsule avait beaucoup plus de chemin à parcourir entre deux impacts avec les parois.

C’était la seule explication. Ils n’avaient assurément pas subi la décélération écrasante qui aurait accompagné leur réception dans la bulle de récupération. Et ils faisaient toujours des tonneaux. Le module n’avait pas été intercepté, attrapé ou arrêté par quoi que ce fût.

Mais il aurait fallu que le tunnel s’élargisse d’une façon insensée. Il n’y avait pas eu un impact sérieux depuis au moins deux minutes, juste deux chocs mineurs. Les parois du tunnel s’étaient-elles ramollies ? Étaient-elles devenues en quelque sorte plus capables d’amortir les collisions ?

Un autre choc. Ensuite, quelque chose d’encore plus étrange : un crépitement qui rappelait le tambourinement de la pluie.

Et puis plus rien.

Floyd poussa un gémissement.

— Je voudrais que les éléphants qui sont assis sur ma tête se relèvent, dit-il.

— Ça va ?

— Ouais, mais je crois que je vais changer de métier.

Il porta la main à sa tête, en faisant un effort pour maintenir son bras levé malgré l’effet centrifuge de leurs tonneaux.

— On est morts, là, ou c’est juste une impression ?

— Nous ne sommes pas morts, répondit-elle. Je ne sais pas pourquoi, mais il n’y a plus de chocs importants depuis quelques minutes. Cela dit, nous tournons toujours.

— J’ai remarqué. Vous avez une théorie pour expliquer ça ?

— Non, répondit-elle. Rien qui ait le moindre sens.

Elle prit conscience du silence environnant. Le module émettait de petits craquements et des gémissements, mais il n’y avait plus de sirènes, plus de voix enregistrée annonçant un désastre imminent. C’était exactement comme s’ils tombaient à travers…

— Vous arrivez à comprendre ces nombres ? demanda Floyd, interrompant le fil de ses pensées.

— Non, dit-elle. Le module n’a pas idée de l’endroit où il est. D’après les données qu’il affiche, nous aurions laissé le portail derrière nous. Ce qui, évidemment, n’a pas de sens…

— Peut-être que si on ouvrait les volets qui obturent les hublots, on se ferait une meilleure idée de la situation, suggéra Floyd.

— Ouvrez ces hublots au milieu du tunnel et vous porterez des lunettes noires jusqu’à la fin de vos jours, répondit-elle.

— J’ai toujours pensé que j’étais mieux avec. Vous pourriez peut-être en soulever un juste un tout petit peu ? Ça pourrait nous renseigner sur notre sort.

Elle chercha une objection, mais n’en trouva aucune qui lui parût valable et susceptible de le convaincre. Il avait raison : au moins, ils seraient renseignés, quelle que soit l’utilité d’une telle information, et même si elle n’avait aucune valeur pratique. Elle préférait savoir où elle était. Elle supposait que c’était un besoin humain, fondamental.

— Je ne sais même pas si ça va marcher, dit-elle. Après tous les chocs qu’on a encaissés…

— Essayez, c’est tout, Auger.

Elle abaissa la console de commande et trouva l’interrupteur qui ouvrait les volets blindés. Elle venait de se convaincre qu’il ne se passerait rien – que les volets devaient être irrémédiablement coincés – quand une lame de lumière dure coupa la cabine en deux.

L’un des volets était brisé, mais l’autre fonctionnait encore. Elle le laissa s’ouvrir de la largeur de trois doigts et le bloqua.

Elle plissa les paupières et leva la main pour se protéger les yeux. Au bout de plus d’une journée dans la pénombre, la soudaine clarté lui parut intense. Mais ce n’était pas le rayonnement bleu électrique, meurtrier, du tunnel.

La lumière s’éteignit.

— C’est en rythme avec notre rotation, dit-elle au bout d’un moment. On dirait qu’il y a une source lumineuse d’un côté, et pas tout autour de nous.

— Ce qui signifie ?

— Je ne sais pas. Mais le fait que nous soyons en vie n’a pas de sens non plus.

Le siège de Floyd était positionné trop loin de la vitre pour qu’il distingue quoi que ce soit.

— Vous voyez où nous sommes ? demanda-t-il.

— Non, répondit Auger.

Elle ouvrit le volet en grand, mais tout ce qu’elle pouvait encore dire, c’était qu’il y avait une source lumineuse quelque part, au-dehors.

— Je vais essayer de me lever et d’aller voir si…

— Du calme, soldat. Ce n’est pas une bonne idée quand on est dans votre état.

Floyd essaya de s’extirper de son harnais, mais ses doigts glissèrent sur les boucles de plastique compliquées.

— Ça vous va bien de dire ça.

Il réussit enfin à déboucler ses sangles. Ils faisaient toujours des tonneaux, mais comme ils étaient maintenant réguliers et s’effectuaient selon un axe de rotation, Floyd réussit à se lever sans trop de mal. Il s’approcha du hublot en se cramponnant d’un bras à la paroi de la cabine et d’un pied à la base du siège.

— Doucement, Floyd, fit Auger alors qu’il collait son visage à la vitre. Alors, que voyez-vous ?

— Il y a une lumière vive d’un côté, dit-il. Je la vois nettement. Mais il y a autre chose, là-bas.

— Quoi donc ? Vous pouvez me le décrire ?

Il ajusta sa position et son visage se crispa sous l’effort.

— Ça apparaît au hasard des rotations. On dirait… une tache brillante. Comme un nuage, avec des lumières dedans. Des lumières autour, en fait. Certaines qui se déplacent, d’autres qui lancent des éclairs. Il y a des bidules noirs devant le nuage, qui se déplacent vers l’avant.

Elle essaya de visualiser ce qu’il lui décrivait, n’en tira rien de cohérent.

— C’est tout ? Rien d’autre ?

— J’ai fait à peu près le tour.

— Bon, et c’est de quelle couleur ?

Floyd la regarda.

— Ça, je ne sais pas. Je ne suis pas vraiment le type rêvé pour parler de couleurs.

— Quoi, vous êtes daltonien ?

Malgré sa peur, elle ne put s’empêcher de rire.

— Hé, ce n’est pas gentil…

— Je ne me moque pas de vous, Floyd. Je ris de nous. De notre situation. On fait vraiment un drôle de tandem, tous les deux ! Le détective qui ne voit pas les couleurs et l’espionne qui n’a pas d’oreille.

— En réalité, je voulais vous demander… Écoutez, Auger, je ne sais pas si ça va vous plaire, mais je veux bien être pendu si ce truc-là n’a pas l’air de diminuer.

Quoi que Floyd vît, Auger n’avait pas été préparée à ça au cours de son briefing. Ça voulait sûrement dire qu’il leur était arrivé quelque chose de très étrange et de très inattendu.

Elle éprouva un picotement de compréhension, comme un grattouillis derrière la nuque.

— Floyd, je crois que j’ai une idée…

— Il y a autre chose, aussi. C’est très gros. J’en vois tout juste le bord.

— Floyd, je pense que nous avons dérivé dans une partie différente de l’hyperweb. Skellsgard disait qu’il était impossible qu’un autre tunnel entre en intersection avec le nôtre, mais elle se trompait peut-être.

Elle s’obligea à se calmer et à parler plus lentement :

— Et s’il y avait une jonction, et si nous l’avions trouvée par accident, en rebondissant dans tous les coins ? Ou si on avait heurté la paroi si durement qu’on y a fait un trou et qu’on est sortis à travers dans une partie adjacente du réseau ?

— Auger ? dit Floyd en la regardant comme si elle était devenue folle. Je vous dis qu’il y a quelque chose de vraiment vraiment gros, là, dehors.

— La source lumineuse ?

— Non, pas ça. C’est de l’autre côté du ciel. On dirait presque…

Auger tendit à nouveau la main vers sa console.

— Allez vous rasseoir. Je vais tenter une manip d’un optimisme démesuré.

— Tout à fait mon genre de fille ! Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Je vais voir s’il reste du jus dans les réacteurs de positionnement.

— On a déjà essayé ça, répondit Floyd. Ils sont morts.

Il retourna s’asseoir et reboucla son harnais.

— Je sais. Mais le système aurait pu croire que le réservoir était vide alors qu’il restait un peu de pression dedans.

Floyd lui jeta un regard bizarre.

— Vous aviez dit que ça ne marchait pas comme ça.

— J’ai menti. J’avais repoussé votre suggestion parce que j’étais de mauvais poil. De toute façon, ça n’aurait servi à rien, à ce moment-là…

— Ben voyons, fit-il, l’air froissé.

— Je suis désolée, dit-elle. Je ne gère pas très bien la situation, d’accord ? Croyez-le ou non, ce n’est pas le genre de truc que je fais tous les jours.

— Vous êtes pardonnée, dit Floyd.

— Écoutez, reprit Auger. J’ai juste besoin de quelques jets de masse de réaction, juste assez pour nous empêcher de tourner sur nous-mêmes, ou au moins pour atténuer la rotation afin de nous donner une vue différente.

— Vous risquez d’aggraver la situation…

— Je pense que nous devons prendre ce risque.

Elle referma la main sur la manette. Elle souleva le capot du bouton de déclenchement et s’apprêta à appuyer dessus en essayant de visualiser l’orientation du module qui tournoyait sur lui-même. Skellsgard ne lui avait pas dit comment sortir d’une spirale de cette sorte – le briefing n’avait jamais envisagé que la situation puisse aussi rigoureusement, aussi sordidement mal tourner –, mais il suffirait qu’elle modifie légèrement leur position, juste assez pour changer leur point de vue. Et puis, dans un soudain accès de désespoir, elle se demanda à quoi ça pourrait bien servir, puisqu’elle n’avait même pas réussi à comprendre la première description de Floyd…

Elle ferma les yeux, appuya sur le bouton. Au lieu de la percussion séquencée habituelle des jets de réaction, elle entendit un long sifflement mourant qui s’estompa sitôt amorcé.

Est-ce que ça suffirait ? Elle n’avait rien senti qui indiquât un quelconque changement de trajectoire.

Mais l’angle de la source de lumière – la faux incurvée de lumière qui entrait dans la cabine à chaque rotation – avait légèrement changé.

— Très bien, dit-elle. À moi de regarder, maintenant.

Auger déboucla son harnais, et au prix d’un effort immense qui ranima sa douleur elle réussit à se lever et, en se cramponnant tant bien que mal, à jeter un coup d’œil par le hublot. Le module décrivait toujours ses tonneaux. La source de lumière flamboyante entra dans son champ de vision, lui faisant plisser les paupières et tourner la tête dans un mouvement réflexe. C’était un disque blanc, intense, légèrement teinté de jaune. En fait, ça ressemblait beaucoup au Soleil.

Alors la tache décrite par Floyd apparut. Auger ne put faire autrement que de reconnaître la pertinence de sa description : on aurait dit un agrandissement de photographie astronomique représentant une nébuleuse rouge rubis, criblée de lumières, de traînées rouge vif, et jonchée de taches très noires, comme des avenues de poussière. Puis, avant que la rotation la fasse disparaître à sa vue, une lumière rose, dure, jaillit à l’intérieur du nuage et mourut.

— Je ne sais pas ce que c’est, dit-elle. Je n’ai jamais vu ça.

C’est alors que la rotation amena dans son champ visuel un arc incurvé, rouge orangé, frangé par une atmosphère ténue. Ça, contrairement à la nébuleuse, elle l’avait déjà vu… Elle distinguait même les rayures blanches formées par les amarres des dirigeables, et les canaux d’irrigation brillant comme des rubans.

C’était l’autre chose que Floyd avait vue.

— Mars, dit-elle. La grosse chose, c’est… Mars.

Elle avait du mal à croire à ses propres paroles.

— Et la lumière ?

— Le Soleil, dit-elle. Nous sommes ressortis de l’autre côté de Mars. Nous sommes dans le système solaire.

— Mais vous avez dit…

Elle regarda à nouveau l’amas criblé de lumières. Exactement tel que Floyd le lui avait décrit. Il paraissait légèrement plus petit que la dernière fois qu’elle l’avait vu, et en même temps la traînée noire semblait bouillonner et se dilater comme le nuage d’une explosion…

À cet instant, une lumière aveuglante – plus vive encore que l’irradiation de l’embouchure du tunnel – embrasa la traînée tel un rayon de soleil traversant un vitrail, devint aussi brillante qu’un deuxième soleil, s’estompa et mourut comme la dernière lueur du soleil couchant. Quand les ténèbres furent revenues, quand la traînée fut à nouveau complètement sombre, les plus petits éclairs ne la troublaient plus.

— Où est Phobos ? demanda Auger.

La pluie du siècle
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